C’est l’histoire d’une distillerie qui cueille ses plantes et aromates dans les montagnes de Haute Provence, depuis le XIXème siècle.
En fait, c’est aussi l’histoire de la cueillette de ces plantes et aromates.
Et l’histoire de la région aussi.
Puisque quand on parles des Domaines et Distilleries de Provence, tout est lié.
En lisant cet article :
- Creusez l’origine de la tradition de cueillette en Provence
- Apprenez l’histoire de l’apparition des liqueurs et spiritueux en Provence
- Lisez l’histoire des Distilleries et Domaines de Provence
- Découvrez que le Henri Bardouin n’est pas qu’un pastis
- Dénichez les produits pépites des Distilleries et Domaines de Provence
Histoire des plantes et de la distillation en Provence
Quand on s’intéresse aux Distilleries et Domaines de Provence, ce n’est pas que l’histoire d’une Maison, mais également celle de toute sa région que l’on embrasse. Depuis la tradition ancestrale de cueillette dans la montagne de Lure, l’héritage des Distilleries et Domaines de Provence est bien antérieur à sa création.
La Provence : lieu de cueillette et de commerce
Si la région provençale est la plus parfumée de France dans sa globalité, ses montagnes apportent un grand nombre de variétés botaniques, qu’elles fournissent à profusion. Lavande, romarin, marjolaine… La montagne de Lure, non-loin du Domaine, est reconnue pour sa flore odorante et foisonnante. Dans l’Antiquité déjà, la cueillette de plantes médicinales et aromatiques jouent un grand rôle sur le pourtour méditerranéen. Des textes commerciaux attestent au Moyen-Âge que des “colporteurs en herboristerie” parcourent les chemins de la Haute Provence. Cette activité devient florissante au XVIIème siècle. Les villages aux pieds de Lure doivent leurs richesses aux marchands droguistes qui commercent en hiver les plantes aromatiques et médicinales qui ont été ramassées en été : valériane, véronique, gentiane, angélique, belladone, aconit, thym, lavande…
Vers la fin de l’Ancien Régime, devant Notre Dame de Lure, un certain Noël Nicot se fait traiter par Jean Giraud de “Jean Foutre”, de “coard” et de “charlatan à cinq sols”, entre autres. Un différent concernant le commerce des plantes. Mais rassurez-vous, ce pauvre Noël Nicot obtient par la suite réparation en justice, pour “injures atroces et labelle diffamatoire”.
La distillation des plantes
Avec l’apparition et le perfectionnement de la distillation, qui se répand en Provence, les plantes sont transformées en eaux distillées et huiles essentielles. (pour en savoir plus sur l’histoire de l’alambic, c’est par ici). Le plus ancien alambic de Haute Provence attesté apparait au XVème siècle. Au XVIIème, les bergers cueillent la lavande sauvage sur les hauteurs, puis viennent la distiller chez des négociants qui possèdent des alambics, et leur vendent le résultat.
Au fur et à mesure, les marchands droguistes ne se contentent plus de commercer leurs plantes. Ils s’établissent et distillent lavande, aspic, thym, romarin… dans de véritables pharmacies. C’est ainsi par exemple que l’on retrouve les pilule des Alpes, “purgatives, dépuratives, antiglaireuses” dans une pharmacie de Forcalquier, à la fin du XIXème. Ou encore l’alcool de menthe, recommandé contre les “attaques en général, vapeurs, vertiges, coliques, indigestions, vomissements, maladies nerveuses, crampes d’estomac, choléra…”. Tout un programme.
Des bergers aux pharmaciens, globalement, chacun distille selon ses besoins et selon l’occasion, depuis le XVème siècle (on trouve même à Lurs un “coiffeur-liquoriste” en 1881). Mais la première trace de distillation en tant qu’activité unique professionnelle apparaît avec un “fabricant distillateur de Manosque”, en 1781. Lavande, vin ou marc, on ne sait cependant pas ce qu’il distille.
L’apparition des spiritueux
En 1875, lors des fêtes de la chapelle Notre-Dame de Provence, qui domine Forcalquier, une Liqueur de Lure est servie, sans qu’on sache vraiment si elle est médicinale ou récréative. Aujourd’hui, les Distilleries et Domaines de Provence possèdent toujours la recette de cette liqueur, à base d’herbes aromatiques telles que le thym, la sauge, la menthe sauvage ou encore la lavande.
Constantin Parraud, distillateur, marchand de vins et spiritueux, fonde en 1879 La Maison Parraud, à Forcalquier. Spécialisé dans l’absinthe, on peut trouver dans son établissement bitter, vermouth, vins et spiritueux divers.
La concurrence arrive avec Félix Laurens, né à Forcalquier, qui revient y fonder une distillerie en 1882, après des études de pharmacie à Marseille. Il fabrique du Citromel, une liqueur au miel qui obtient une médaille d’argent à l’exposition universelle de 1900, mais aussi une “absinthe supérieure rectifiée” (et boum, dans les dents de Parraud), des liqueurs, sirops, amers et vins fins.
Finalement, les ramasseurs et colporteurs d’hier, sur la montagne de Lure, sont devenus des marchands droguistes, puis des apothicaires et enfin des pharmaciens qui se sont installés dans de nombreuses villes, comme Saint-Etienne et Lyon, mais également dans la plus proche : Forcalquier. C’est lorsque l’alcool devient autant un objet de dégustation qu’un médicament, qu’apparaissent les marchands de vins et spiritueux. Bien que les frontières demeurent poreuse encore longtemps.
Histoire des Distilleries et Domaines de Provence
1898 : alors que sort le “J’accuse” de Zola, et que Pierre et Marie Curie découvrent le polonium et le radium, les Distilleries et Domaines de Provence sont créés, à Forcalquier.
Paul Ferréoux : origines originales
On a peu d’infos sur les origines de la Maison, mais en 1935, le directeur en est Paul Ferréoux. On retrouve ce dernier sur sa carte de visite, en tant que propriétaire – négociant, avec des joues aussi roses que les fleurs qui l’entourent. Qui a dit que les hommes de 1935 n’acceptaient pas leur part de féminité ?
N’étant pas distillateur à l’origine, il commence sa carrière comme artiste peintre, avec une entreprise spécialisée dans le trompe-l’oeil. Puis il va exercer toutes sortes d’activités commerciales, du ramassage d’oeufs au négoce de cerises pour confiture. Il se lance dans le négoce de vin en 1918. L’année suivante, “Monsieur Ferréoux, négociant à Forcalquier, prévient le public qu’il va ouvrir prochainement une Fabrique de Boisson gazeuses et sirops avec entrepôt de bière 1ère marque”. Il distille et vend également des spiritueux.
Le succès rapide de son entreprise pousse son frère Anatole à s’associer. En 1927, il s’agit de l’établissement Ferréoux frères. Puis c’est la scission deux ans plus tard : Anatole prend la partie boissons gazeuses et sirop, qui s’appelle désormais Établissement A.Ferréoux. Tandis que Paul récupère les liqueurs et spiritueux : la Distillerie de Lure. Il s’installe au coeur de Forcalquier en 1930, où la distillerie demeurera 40 ans. Revenant à ses premières amours, il réalise dans le local une décoration en trompe-l’oeil avec de faux éléments de décor.
Dans une publicité de 1935, il recommande “aux fins dégustateurs” quelques unes de ses spécialités : le Paulanis, la Gentiane de Lure, le Paulamer, Le Rhum Diamant, le Rhum Pauléon vieux… En 1939, il met son entreprise en gérance.
1944 : La tragédie provençale
Pendant la guerre, le camionnette de la Distillerie de Lure joue un rôle important dans la Résistance. C’est ainsi que l’un des gérants de l’époque, Marcel Pascal, connait un sort tragique avec l’un de ses employés en 1944. Alors que se déroule une bataille prématurée pour libérer Forcalquier, ils sont tous les deux abattus dans leur camionnette, à quelques mètres de la distillerie, où ils revenaient après une mission de ravitaillement pour le maquis. Contre le mur de l’Église, il y a onze cadavres de résistants.
Jean Nalin, qui était associé avec feu Marcel Pascal, demeure à la tête de l’entreprise, où il sera rejoint par Henri Bardouin. Ce dernier démarre dans l’entreprise au poste de livreur, mais on le retrouve à la tête de la société avec Jean Nalin, en 1948. La Distillerie se remet alors de la guerre et des restrictions. Elle peut produire à nouveau la Liqueur de Lure et la Gentiane. Il faudra attendre 1950 pour reprendre la fabrication des anis, avec le pastis Diamant, qui remplace le Paulanis. Henri Bardouin fait évoluer la recette de ce pastis, même si le vrai changement interviendra plus tard avec le pastis qui porte son nom, en 1990. En 1962, Jean Nalin se retire de la société.
Henri Bardouin : L’homme avant le pastis
Henri Bardouin devient seul gérant et propriétaire de la Distillerie. Grand amateur de chasse, de nature et de botaniques, il est visiblement tête en l’air. Il se trompe une année entre les colorants rouge et vert : les forcalquiérens s’habitue alors à boire de la grenadine verte et de la menthe rouge. C’est cependant difficile de l’expliquer aux touristes à l’été. Par la suite, absorbé par une conversation sur la chasse, il se trompe et réalise son pastis au marc, et non à l’alcool neutre. Les habitants de Saint-Saturnin d’Apt, convaincus par le produit erroné, l’obligent à réitérer son erreur par la suite, rien que pour eux. Malgré ces anecdotes, c’est lui qui permet à la distillerie de développer de nouveaux produits, et de faire passer d’un niveau très local à un niveau plus régional, en allant à Marseille notamment.
En 1974, Alain Robert et son meilleur ami Jacques Bardouin s’associent avec Henri Bardouin, le père de Jacques. Dans les années 70, ils sortent le fameux Rinquinquin, un apéritif requinquant, comme son nom l’indique, et bien connu dans le sud-est de la France.
Année 80 : l’épisode Pernod Ricard
Henri Bardouin disparaît en 1979, et Alain Robert dirigera la distillerie pendant plus de 40 ans. A l’époque, l’entreprise est très petite, et Alain Robert subsiste en cumulant un emploi à côté. Mais au milieu des années 80, qu’il s’agisse de chance ou de génie marketing, il créé LE produit, qui va connaître un succès fulgurant sur tout le globe : le Carlton. Le Carlton était un vin pétillant à la pêche, qui a bénéficié d’une image luxueuse. Au sommet de son succès, il se vendait au Japon plus de Carlton que de n’importe quel autre vin pétillant, champagne inclu. En trois ans, plus de 3,5 millions de bouteilles se sont vendues. La petite distillerie était incapable de suivre le rythme, et Alain Robert a vendu la marque Carlton ainsi que la Distillerie à Pernod Ricard.
1990 : Retour aux sources, et sortie du pastis Henri Bardouin
Comme le disait Alain Robert : “Vous ne croyez pas que je vais changer ma façon de vivre parce que j’ai quelques millions de francs. Je vis comme j’en ai envie. J’ai vendu à Pernod-Ricard parce qu’avec eux notre affaire pourra se développer en France et à l’étranger”. Mais le succès du Carlton est éphémère, et le reste des produits négligé.
Entrepreneur dans l’âme, Alain Robert rachète alors la distillerie à Ricard en 1990, sans la marque Carlton. Il retrouve sa distillerie, tronquée de sa marque phare, avec des produits comme le Rinquinquin, la Farigoule ou la Liqueur de Lure, qui n’ont pas été développés. Il faut trouver un nouveau fer de lance pour l’entreprise. Or, depuis plusieurs années, il travaille à l’élaboration d’un nouveau pastis qui renoue avec les origines du pastis. C’est ainsi qu’en 1990 sort le fameux Henri Bardouin, en hommage au précédent directeur. “Il (Alain Robert) lance le pastis Henri Bardouin, qui a pris le relais du Carlton, avec un développement bien moins fulgurant mais beaucoup plus pérenne” Antoine Robert, fils de Alain Robert et aujourd’hui PDG de la société.
Avec le pastis Henri Bardouin, le produit est totalement repensé. Le but ? “tourner le dos à une certaine image vulgaire et galvaudée du pastis, pour lui rendre sa vérité culturelle traditionnelle”, Alain Robert. L’aspect herbacé est encore enrichi et travaillé. L’armoise et d’autres herbes amères sont mises en avant pour se rapprocher du goût et de la couleur de l’absinthe. C’est cette recette, comprenant plus de soixantes plantes ou épices, qui demeure inchangée aujourd’hui.
La distillerie aujourd’hui
Cette année, Antoine Robert, fils d’Alain Robert qui dirigeait l’entreprise depuis plus de 40 ans, a repris les rennes des Distilleries et Domaines de Provence. PME familiale de 45 collaborateur, son siège et sa distillerie demeurent toujours à Forcalquier.
L’entreprise perpétue la tradition ancestrale de la cueillette dans la région. Elle possède par exemple un champ d’absinthe, et récolte du thym sauvage ou encore des baies de genièvre dans les collines environnantes. Alambics, cuves de fermentation, laboratoire de R&D et salles de macération, emoubteillage : du pastis Henri Bardouin au Marc de Provence, la production des produits est maison.
Mais quels sont ces produits ?
Apéritifs provençaux
On retrouve toute une gamme d’apéritifs à base de vin, qui s’inspirent de recettes traditionnelles du sud de la France, tout en leur apportant leur touche de modernité. Apéritif à l’orange, apéritif à la noix, vertmouth et le produit phare : le Rinquinquin, réalisé à partir de pêches macérées dans du vin blanc du Luberon. Ce dernier produit plaît de plus en plus dans le monde de la mixologie. De la Nouvelle Zélande au Japon, en passant par le Royaume-Uni, les barmen du monde entier apprécient le travailler dans leurs recettes, depuis une quinzaine d’années.
Liqueurs & gin provençaux
La Maison produit des liqueurs, comme la Farigoule, liqueur à base de thym, la Gentiane de Lure, ou encore du génépi. Dernièrement, la distillerie a recommencé à produire une de ses liqueurs historiques : l’Elisir. C’est une liqueur de plantes, qui se rapproche de la chartreuse verte dans ses arômes. C’est au propriétaire d’un bar à Kyoto que l’on doit cette renaissance. Ce dernier souhaitait absolument en avoir pour fêter les 10 ans de son bar, bien que la boisson n’ait plus été fabriquée. Grâce à l’influence de ce personnage dans le monde de la mixologie, et au regain d’intérêt pour les liqueurs de plantes, la distillerie a recommencé sa production en France et à l’international.
Un dry gin est également produit sur place, le Gin XII, réalisé à partir de douze plantes de Provence.
Absinthe provençale
Les Distilleries et Domaines de Provence sont aussi un producteur historique d’absinthe avec la Distillerie de Lure. Ils ont été les premiers à recommencer à produire de l’absinthe après la levée de l’interdiction de 1915. Depuis 1999, l’entreprise produit son absinthe, l’Absente, à base de plantes cueillies dans la région. Cette boisson connait le succès à l’international, alors que les pays francophones sont restés attachés au pastis dont ils ont pris l’habitude.
Projet secret… et provençal bien sûr !
Dans un futur proche, un nouveau produit en cours de développement devrait voir le jour. C’est un très gros projet qui passionne l’équipe, mais motus pour l’instant. Tout ce qu’on peut vous dire, c’est que la matière première sera cultivée dans des champs à proximité de la distillerie, et qu’il faudra trois ans minimum pour que le spiritueux puisse sortir après sa distillation. Alors, une idée ?
En Conclusion
Les Distilleries et Domaines de Provence sont les héritiers d’une tradition géographique et familiale à laquelle ils sont restés fidèles, malgré leur modernisation. Les acteurs qui se sont succédés depuis les balbutiement de la Distillerie de Lure demeurent aujourd’hui étroitement liés à l’entreprise : Un descendant de Paul Ferréoux travaille comme représentant pour la marque, le pastis Henri Bardouin doit son nom au précédent propriétaire, et l’actuel PDG, Antoine Robert, succède à son père qui a porté l’entreprise pendant plus de 40 ans. L’établissement est né et demeure aujourd’hui à Forcalquier, et les produits sont issus d’un savoir-faire qui remonte à plusieurs millénaires. Ce sont des liens indéfectible qui se ressentent humainement, au sein de la Maison, et qui en font l’institution qu’elle représente aujourd’hui dans la région… et dans le monde ! Car au Domaine, la tradition vit également à travers l’innovation. En tissant des liens avec l’univers de la mixologie, ou bien en exportant l’Absente, les Distilleries et Domaines de Provence assurent leur postérité aussi bien dans les bars branchés de Kyoto ou de Londres, qu’au café de Forcalquier.