Le 26 mars 1777, le Marquis de La Fayette embarque avec un équipage et des armes sur La Victoire direction l’Amérique afin de combattre aux côtés des rebelles américains, scellant ainsi l’alliance entre les Etats-Unis et la France. Pour rendre hommage à cette alliance, Ashley Donahey, passionnée de whiskey américain, a décidé de lancer Two Worlds Whiskey, une gamme de whiskeys spécialement développée pour les palais français et pour offrir une nouvelle expérience gustative loin des bourbons d’entrée de gamme. Elle lance ainsi une première référence « La Victoire, Cuvée 1 », assemblage issu d’une sélection de 11 fûts, embouteillé brut de fût, sans additif et non filtré à froid. Après un an de travail et en plein lancement des précommandes de La Victoire, elle a accepté de répondre aux questions de Speakeasy et de nous parler de son projet…
Après une carrière dans les Affaires étrangères aux États-Unis vous vous installez en France, devenez ambassadrice des whiskies Compass Box pour finalement vous lancer dans une nouvelle aventure avec Two Worlds Whiskey. Comment est arrivé ce changement de carrière ? Aviez-vous déjà cette passion pour les spiritueux ?
Je pourrais écrire un roman en réponse à cette question ! Mon intérêt a naturellement commencé avec le bourbon, puisque je suis originaire du Kentucky et que c’est notre spécialité. Quand on grandit dans le Kentucky, le bourbon fait partie de la vie quotidienne. Il fait partie de notre patrimoine. La passion pour les spiritueux, c’est aussi pour moi une affaire de famille. Mon ancêtre, William Downard, qui a combattu dans la guerre d’indépendance américaine était lui-même distillateur. Il a commencé à distiller en Pennsylvanie, où le whisky de seigle était plus commun, mais il aurait commencé à faire un whisky avec un pourcentage plus élevé de maïs après avoir déménagé dans le Kentucky, car il y pousse si bien.
Toutefois ma passion pour le whisky n’est pas limitée au bourbon. J’ai découvert le whisky écossais au bar à l’âge de 21 ans. J’avais commandé un bourbon « neat ». Le barman, qui était lui-même écossais, a été surpris par une telle commande d’une jeune femme, et il m’a demandé si j’avais déjà goûté un whisky écossais. Il m’a servi un Laphroaig 10 ans en pensant que je détesterais, mais j’ai adoré.
Je suis tombée amoureuse des spiritueux français alors que j’étais étudiante en France. Au fil des ans, j’ai étudié la littérature française à Caen en Normandie, à Avignon et à Aix-en-Provence et j’ai profité de mes études pour voyager dans le pays. En cours de route, je me suis beaucoup intéressée au calvados, au cognac, à l’armagnac et au pastis, entre autres.
J’ai essayé mon premier whisky japonais après avoir commencé ma carrière de diplomate. J’étais à Hiroshima, au Japon, pour la réunion des ministres des affaires étrangères du G-7 en 2016. Pour célébrer la clôture des négociations, j’ai commandé un Hibiki 12 ans, et c’était divin.
L’une des choses que j’aime dans le whisky, c’est la façon dont des ingrédients aussi simples que l’eau, les céréales, le bois et le temps peuvent donner lieu à des profils si différents. J’aime découvrir de nouveaux whiskies des quatre coins du monde—y compris bien sûr de France où la catégorie du whisky français s’est vraiment développée ces dernières années. Mais le bourbon restera toujours pour moi mon premier amour.
Vous avez donc décidé de lancer une marque de whisky américain uniquement à destination des consommateurs français, pourquoi cela ?
Même si cela peut paraître étrange, j’ai toujours eu l’idée de faire quelque chose avec le bourbon en France, avant même de revenir ici. Quand je suis arrivée en 2017, j’ai été vraiment frappée de voir à quel point le bourbon est méconnu ici en France. Depuis le début des années 2000, la popularité du bourbon a absolument explosé dans le monde entier, mais surtout aux États-Unis, au point que le phénomène est désormais connu sous le nom de « Bourbon Boom ». Mais cette tendance semble avoir complètement passé à côté de la France jusqu’à présent. J’étais curieuse de savoir pourquoi.
Quand j’ai commencé à travailler comme ambassadeur de marque, j’ai voyagé dans toute la France et j’ai pu parler avec des milliers de cavistes, de barmans et des amateurs de whisky. Chaque fois que je demandais aux gens ce qu’ils pensaient du bourbon, j’obtenais toujours les mêmes réponses. Ils avaient essayé le Jack Daniels et peut-être le Four Roses, souvent avec un coca (et souvent une mauvaise cuite) et ils avaient décidé, d’après cette expérience limitée, que toute la catégorie de bourbon n’était pas intéressante pour eux. J’ai trouvé cela incroyablement triste. J’imaginais que si ma première expérience avec un whisky écossais par exemple avait été un label 5 avec du coca, et j’avais décidé à partir de cette seule expérience que je n’aimais pas aucun whisky écossais alors je n’aurais jamais découvert la grande variété qui existe dans cette catégorie.
Mais quand j’ai regardé ce qu’il y a comme bourbon en France, la gamme est extrêmement limitée, surtout dans la catégorie haut de gamme. Les raisons sont multiples. La demande de bourbons haut de gamme en particulier est si élevée sur des marchés comme les États-Unis, le Japon, le Royaume-Unis qu’il n’y a déjà pas assez de stock pour satisfaire la demande. Par conséquent, chaque marché ne reçoit qu’une certaine quantité de ces bouteilles haut de gamme, et une fois qu’elles sont vendues, c’est tout. En France, ces bouteilles sont achetées en quelques jours (parfois quelques heures seulement) par ceux qui les connaissent déjà et savent exactement comment les trouver. Cela signifie donc que si vous êtes un amateur de whisky en France et que vous ne savez pas déjà quels sont les meilleurs bourbons disponibles dans votre pays ni savoir où et quand les trouver, vous ne les découvrirez jamais.
Je voulais changer cela. La France est un marché du whisky extrêmement important et un allié de poids pour les États-Unis, dont les immigrants ont contribué à créer et à populariser le style du bourbon en premier lieu – vous méritez un meilleur bourbon !
Votre premier embouteillage s’appelle La Victoire, quelle a été l’inspiration derrière ce produit ? Pourquoi ce nom ?
D’abord, il faut noter que le nom “Two Worlds Whiskey” fait l’honneur au Marquis de Lafayette, “le héros de deux mondes.” Il serait impossible de surestimer l’importance de La Fayette pour les États-Unis, et La Victoire a été le navire qui a tout déclenché.
Le 26 mars 1777, le marquis de La Fayette, alors âgé de 19 ans, s’embarque en secret pour l’Amérique, au mépris des ordres de son Roi et sous la menace d’être arrêté. À Bordeaux, il embarque sur La Victoire – un navire qu’il a affrété à ses frais, avec à son bord un équipage et des armes – et met les voiles sur l’Amérique afin de partir combattre pour la liberté aux côtés des rebelles américains. Cet acte de courage exceptionnel a forgé une alliance qui changea à jamais le destin de mon pays, de ma famille et de ma passion : le whisky américain.
La première fois que j’ai appris de cette histoire, j’étais émue. Un tel jeune homme avec tout à perdre a risquer tout pour venir à l’aide d’un peuple d’un pays qu’il n’a jamais connu. C’est époustouflant. C’est encore plus touchant pour moi personnellement parce que mon ancêtre William Downard (le distillateur) a été combattant de cette guerre.
Afin de rendre hommage au voyage inaugural de La Fayette en Amérique, cette première édition du Two Worlds Whiskey a été nommée La Victoire, le navire qui a traversé l’Atlantique et qui a lié nos deux mondes pour toujours.
Comment avez-vous sélectionné les fûts et assemblez ceux-ci ? Aviez-vous une idée dès le départ du profil aromatique que vous souhaitiez obtenir ?
Lorsque j’ai travaillé pour la Maison du Whisky en tant qu’ambassadrice de la marque, j’ai eu le privilège de voyager dans toute la France et d’organiser des centaines de dégustations. C’est une telle joie pour une amatrice de whiskey de pouvoir faire des dégustations avec les français, car vous avez la tradition de la dégustation du vin. Vous savez rechercher les saveurs, vous savez dire ce que vous sentez, ce que vous dégustez. Et vous n’hésitez pas à dire ce qui vous plais et ce qu’il ne vous plais pas ! Cette expérience m’a beaucoup appris sur les différences entre les palais français et les palais américains. Bien sûr à chacun son goût, mais on peut quand même parler des certaines trames. Par exemple, où les américains privilégient les saveurs forts et audacieux, les français privilégient l’élégance, l’équilibre, le raffinement.
Grâce à cette expérience, lorsque j’ai commencé à travailler à mon assemblage, j’avais déjà en tête un profil : celui qui serait plus élégant, plus équilibré, qui aurait une belle correspondance entre le nez et le palais, qui aurait peut-être plus de notes florales et fruitées qu’un bourbon typique, qui ne se limiterait pas au caramel et à la vanille, ce que beaucoup de gens pensent du bourbon. Et aussi quelque chose qui aurait une bouche crémeuse très ronde, une finale bien longue, et qui serait embouteillé brut de fût.
J’ai décrit ce profil aromatique à Ashley Barnes, le maître de chai, et Monica Wolf, la responsable pour approvisionner des fûts. On savait que pour arriver à la complexité voulue, il nous fallait en bourbon assez âgé pour servir d’épine dorsale.
Bien sûr, trouver un whisky de 12 à 14 ans n’est pas donné, et comme vous le savez certainement, avec le whisky, plus vieux ne veut pas toujours dire meilleur. Nous voulions un whisky avec les notes tertiaires complexes que l’on trouve dans les whiskies plus âgés, mais sans être trop boisé.
Après de nombreuses recherches, nous avons trouvé un lot fantastique de bourbon de 14 ans d’âge qui, même à brut de fût, n’était que de 54,5%, ce qui est vraiment inhabituel pour un bourbon de cet âge. (En fait, lorsque nous avons fait notre assemblage ce bourbon était à moins d’un mois de son quinzième anniversaire.)
Nous avons alors trouvé notre base et nous sommes partis à la recherche de whiskies plus jeunes qui apporteraient les notes de fruits frais et de fleurs que nous voulions. Nous avons trouvé un beau bourbon de quatre ans d’âge qui apportait au nez des notes de poire fraîche, de pommes cuites et de chèvrefeuille. Pour le compléter, nous avons utilisé un bourbon de cinq ans provenant du même alambic que le 14 ans qui a vraiment arrondi le palais avec une sensation incroyablement crémeuse en bouche.
Nous avons acheté 11 barils au total de ces trois lots de bourbons, et en décembre, nous les avons assemblés dans le Kentucky selon la recette unique élaborée par Ashley. Le bourbon final est aussi naturel que possible. Il n’a pas été filtré à froid, rien n’y a été ajouté, pas même de l’eau pour le réduire. Il sera mis en bouteille exactement comme il est sorti du tonneau, et je suis énormément fière du résultat !
Après La Victoire, préparez-vous d’autres embouteillages ?
Oui! Two Worlds Whiskey aspire à lancer trois gammes de whisky franco-américain, chacune portant le nom de l’un des trois navires à bord desquels La Fayette a traversé l’Atlantique pendant la Révolution américaine :
– La Victoire – Notre première gamme comprendra des whiskeys bourbon en édition limitée, distillés et vieillis en petites quantités aux États-Unis, soigneusement sélectionnés et assemblés selon une recette unique élaborée par notre maître assembleur. Ces cuvées seront spécifiquement sélectionnées et assemblées pour la France où le whiskey sera ensuite mis en bouteille au brut du fût. La Victoire, Batch 1 n’est que la première sortie de cette gamme.
– L’Alliance – Pour cette gamme, nous sélectionnerons des whiskeys straight bourbon et rye vieillis aux États-Unis, puis nous achèverons leur affinage dans des fûts de vins & spiritueux français. Par exemple, le bourbon affiné dans des anciens fûts de vin rouge ou le rye whisky affiné d’anciens fûts de Calvados. Les combinaisons à explorer sont nombreuses !
– L’Hermione – La plus ambitieuse des trois gammes sera fabriquée à partir de distillat de whiskey américain non vieilli, également connu sous le nom de « white dog », qui sera ensuite importé en France où il sera vieilli dans des fûts de chêne français neufs fabriqués par les meilleurs tonneliers français. L’idéal serait que nous installions nos caves de vieillissement en Provence, où le climat est similaire à celui du Kentucky. L’Hermione deviendrait ainsi le premier véritable whiskey franco-américain associant le terroir et le savoir-faire des deux pays pour créer une toute nouvelle catégorie de whiskey. Mon intuition est qu’en combinant le terroir et le savoir-faire des deux pays (les céréales, l’eau, les levures sauvages, et la maîtrise de la distillation des États-Unis, combinés au climat français, au chêne français et au savoir-faire français de la tonnellerie et de l’assemblage), on pourrait créer un whisky vraiment formidable.
Si tout ça vous tente, lancez-vous avec nous dans l’aventure et précommandez votre bouteille de notre première édition : La Victoire, Batch 1 disponible jusqu’au 23 avril à twoworldswhiskey.com/reservez.
Merci à Ashley d’avoir accepté de répondre à nos questions. Bon courage pour ce très beau lancement !