La convivialité et l’authenticité sont au menu des tendances food de 2024. Pas étonnant que le fameux apéro, moment chaleureux de partage, ait la cote. La période de confinement y est sans doute pour quelque chose : nous avons pris conscience de sa valeur sociale et émotionnelle.
L’apéritif, s’il désigne un moment, celui de la détente et de la rencontre, entre amis ou en famille, est également le nom du produit qui l’accompagne. D’après le Larousse, il est la “boisson le plus souvent alcoolisée, prise avant le repas”.
En France, pays de la gastronomie par excellence, pays des cafés et des terrasses, l’apéritif est également une tradition joyeuse inébranlable. À la croisée entre la tendance du vintage et celle de la convivialité, les vieux apéritifs français ressortent des armoires de nos grand-mères. Suze, Picon, vermouth… Ils deviennent les rois du cool et s’invitent même chez les bartenders, quand ils ne sont pas revisités en tonic, pour des long drinks version low ABV.
L’arrêt de la croissance de la consommation de gin, et la tendance des cocktails, qui nous est arrivée du monde anglo-saxon, devrait assurer un avenir certain à nos apéritifs français.
Mais au fait, savez-vous d’où provient la tradition de trinquer pour l’apéro ? C’est au Moyen-âge qu’elle se développe, comme mesure anti-empoisonnement. Le but est de choquer les verres pour que quelques gouttes de liquide passent par-dessus et se mélangent d’un verre à l’autre. La confiance règne ! Une fois certain que l’ami avec qui l’on trinquait ne voulait pas notre mort, on pouvait boire à sa santé.
Vous vous demandez ce dont on va parler dans cet article ? Suivez le guide :
- D’abord, on parlera de l’histoire de l’apéro, depuis l’Antiquité grecque jusqu’à la tendance actuelle du Low ABV.
- Ensuite, sans prétendre à l’exhaustivité, on fera un petit tour du monde de l’apéro :
- Les liqueurs (bitter, amaro, amers et les autres)
- Les apéritifs à base de vin (vermouth et apéritifs au quinquina)
- Les anisés (pastis et absinthe)
- Les inclassables (de belles surprises)
Histoire de l’apéritif
Les Italiens, pionniers de l’apéro
L’Italie n’a donc pas inventé que les pâtes.
Déjà dans l’Antiquité, les grecs et les romains versent quelques gouttes de vin sur le sol en offrande aux Dieux, lors de leurs libations. Les grecs érigent l’art de déguster le vin en rituel social de grande importance. Le “symposion”, littéralement “boire ensemble”, est un banquet orchestré par un symposiarque distribuant autant la parole que la boisson. La libation était effectuée aussi pour clore le dîner, et démarrer le fameux “potos” grec (traduire par l’excès de boisson).
Dans la Rome antique, on trouve des textes faisant référence à la conservation de fruits dans du miel pour les intégrer à diverses boissons alcoolisées à base de vin.
Au XVIIIᵉ siècle, les italiens sont pionniers en matière d’apéritif. L’université de Turin est une confrérie rassemblant des confiseurs et des fabricants d’Eau-de-vie. Les frères Cinzano, issus d’une famille de liquoristes, appartiennent à cette confrérie et fabriquent une liqueur vendue uniquement à Pecceto et à Turin. Armoise, dictame, cannelle, girofle… Les épices et aromates qui exhaussent leur liqueur en font l’ancêtre du vermouth. La liqueur Cinzano existe encore aujourd’hui, depuis 1757. Le nom de vermouth viendra ensuite de wermut, le terme allemand pour désigner les plantes d’absinthe.
En France, l’apéro sur prescription médicale
En France, l’apéritif est très élégamment désigné dans l’Encyclopédie de Diderot en 1751 comme un “médicament qui ouvre les voies de l’élimination”. Le terme est donc médical, et non festif. Le terme apéritif vient du latin “aperire” qui signifie “ouvrir”. Et par “ouvrir” on entend les pores de la peau pour éliminer toutes les toxines du corps. Un apéro détox en somme !
C’est en Savoie, où poussent de nombreuses plantes et herbes aromatiques (absinthe, anis, gentiane…), que les premiers apéritifs sont élaborés. Ces aromates sont distillés dans de l’alcool, en premier lieu pour réaliser des médicaments.
Même quand ces boissons commenceront à être consommées pour le plaisir, elles conserveront cette image de produit bon pour la santé et le bien-être. Encore au début du XXᵉ, alors que l’essor de la distillation industrielle crée de l’alcoolisme en masse, l’apéritif est toujours considéré comme un médicament. Dans son article de 1926, L’apéritif, maladie sociale, le docteur Maurice Letulle blâme la trop grande consommation d’apéritif. Mais le considère malgré tout comme un remède : il faut “déglutir l’apéritif à jeun avant le repas”.
Le XIXème : développement des grandes marques
Les italiennes : Martini, Rossi, Campari
Pionnière en matière de vermouth, l’Italie voit se développer les grandes marques que nous connaissons tous aujourd’hui. À Turin, notamment, où se développe un grand nombre de vermouths à base de vin blanc. De nombreux autres fabricants proviennent de cette région, comme Martini et Rossi, qui y fondent leur distillerie en 1863. Quant à la distillerie Campari, c’est à Milan qu’elle est bâtie, et produit sa liqueur amère à base de plantes. Le nom de vermouth vient de l’allemand wermut, qui désigne les plantes d’absinthe.
La savoyarde Dolin
Les vermouths du nord de l’Italie inspirent les Savoyards voisins. Ces derniers ont déjà l’habitude de concocter leurs propres apéritifs, grâces aux plantes de la montagne. “Dès 1821, on retrouve le vermouth de Chambéry, qui deviendra le vermouth Dolin. Lorsque la Savoie devient française en 1860, le vermouth le devient avec elle…” Didier Nourrisson, Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Claude Bernard Lyon 1.
Les françaises Noilly-Prat et Pernod
En 1811, Joseph Noilly, dans le sud de la France, expérimente la macération d’herbes des Pyrénées et du Languedoc dans du vin de la région. C’est ainsi que le vermouth Noilly sera créé, aujourd’hui Noilly-Prat.
De son côté, Henri-Louis Pernod, suisse de son état, décide de franchir la frontière française pour vendre son absinthe en échappant aux droits de douanes. Il crée sa société Pernod fils en 1805 à Pontarlier, dans le Doubs. Lorsque l’absinthe est interdite, il développe une recette d’anisette, et dépose le nom Anis Pernod fils.
Mais là, surprise ! une autre société Pernod, la société Pernod Père et fils, créée en 1872 à Avignon, a déjà déposé le nom Anis Pernod. Après démêlés judiciaires, la société avignonnaise gagne le procès, et les deux sociétés fusionnent en 1928.
L’anti-paludique Dubonnet
Le XIXᵉ siècle est également le temps de la conquête coloniale pour la France. Alors que la conquête de l’Algérie a déjà démarré depuis 16 ans, Joseph Dubonnet a l’idée de créer un vin antipaludique. La Légion l’accueille comme une bénédiction, au milieu des hordes de moustiques des marécages. Le quinquina, utilisé pour aromatiser le vin, est un antipaludéen naturel, qui soigne les fièvres. L’apéritif se propage ainsi au sein de l’armée. Et le vin de quinquina est bientôt suivi de l’absinthe, qui, à défaut de soigner les fièvres, réchauffe les cœurs.
En parallèle, un autre phénomène va diffuser le rituel social de l’apéritif : le développement de l’industrie sucrière. Si les gentianes ou quinquina donnent des saveurs très amères, le XIXᵉ les charge en sucre. Ce ne sont plus des potions médicamenteuses amères, mais bien des produits qui ravissent les becs sucrés. L’apéritif est désormais partagé, entre amis, pour le plaisir.
L’apéritif pour les pauvres, les cocktails pour la haute
Pour ne pas boire vulgairement l’apéro comme la basse société, l’élite française s’enthousiasme pour les cocktails, qui arrivent des États-Unis à la fin du XIXᵉ. En France, le prince de Galles réside à Paris dans les années 1900 et mène une vie de faste. Il y lance la mode des cocktails, parmi la crème de la crème intellectuelle et financière. Les premiers cocktails sont réalisés à base de gin, de cognac ou de champagne.
Mais à l’inverse du phénomène actuel qui veut que ce soit le monde du luxe qui pille les codes de la rue, le peuple souhaite imiter la haute société et se met aux cocktails également pour son apéritif.
Que mange-t-on avec l’apéritif ?
Au départ, les sociétés agroalimentaires vont mettre en avant les fruits secs exotiques, comme les cacahuètes, pour assurer un débouché français à ce produit colonial.
Au fur et à mesure, les offres vont se développer et les produits évoluer. Jusqu’à la sacralisation de l’apéro avec ”l’apéro dinatoire” : tout un repas sur le mode de la convivialité, où chacun pioche ce qu’il souhaite pour accompagner son verre.
La tendance nouvelle du Low ABV
C’est-à-dire la tendance du Low Alcohol By Volume. Tout comme on a pris conscience de l’impact de notre alimentation sur notre santé, on prend conscience des conséquences de la consommation d’alcool. Trouble du sommeil, digestion, gueule de bois… Le nouvel apéro n’est pas là pour provoquer une ivresse excessive, mais pour permettre de partager un moment convivial. D’où le développement de softs, notamment du tonic ou de la ginger beer : on rallonge son apéritif de tonic pour en faire un long drink, moins chargé en alcool et qui dure plus longtemps. Fever Tree demeure leader depuis un certain nombre d’années, dans le domaine des tonics de qualité. Mais les marques de tonic françaises n’ont pas à rougir de leur dynamisme ! Hysope, Archibald, Artonic… De quoi accompagner liqueurs et vermouths avec raffinement et harmonie. Et c’est là où ces derniers collent parfaitement à la tendance : pour pouvoir obtenir un long drink qui ait du goût, il faut une base alcoolisée très concentrée en arômes. Les liqueurs de plantes, les vermouths ou les amaros supportent très bien la dilution, sans devenir fades.
Et maintenant, sans prétendre à l’exhaustivité, en route pour un petit tour du monde de l’apéro ! C’est dans la deuxième partie de notre article.